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Le jour où Cameron Porter a marqué l'histoire

Porter but

MONTRÉAL – Le 3 mars 2015, à 21 h 56 précisément, un joueur choisi au troisième tour du SuperDraft et presque inconnu des partisans de l’Impact a réécrit l’histoire du soccer au Québec.


Cameron Porter était alors un discret attaquant de 21 ans, « qu’on connaissait à peine avant le début du camp », comme l’avait à juste titre souligné Frédéric Lord, descripteur à TVA Sports. Il ne devait pas être sur le terrain – et encore moins jouer les héros en Ligue des champions de la CONCACAF.


Quelques semaines auparavant, Porter étudiait pour ses examens de fin d’année à Princeton. On s’attendait à ce qu’il soit du Combine de la MLS. Il n’a même pas été invité. Le soccer professionnel – ou, du moins, la chance de jouer en MLS – semblait maintenant hors d’atteinte.


« Et là, je reçois une invitation de dernière minute, se rappelle Porter. J’ai totalement perdu la forme. Misère! »


Néanmoins, l’Impact le repêche au 45e rang. Il se rend au camp d’entraînement, impressionne ceux qu’il doit impressionner. Il signe son premier contrat professionnel le 7 février et fait ses valises pour la présaison, au Mexique.


Deux semaines et demie plus tard, le 24 février, les entraîneurs de l’Impact font le tour des joueurs pour les dernières instructions. Ceux qui font partie des 18 joueurs pour le match aller de la série quart de finale de Ligue des champions contre Pachuca restent sur place. Les autres retournent à Montréal pour reprendre l’entraînement. En fin d’après-midi, Porter n’a pas reçu d’avis.


« Quelqu’un passe, et je lui dis “Je vais au gym et je fais mes bagages, pas vrai?” Il me répond : “Non, non, tu es dans les 18.” Wow. »


L’Impact fait match nul 2-2 au Mexique. Porter fait ses débuts avec le club lorsqu’il monte au jeu à la 81e minute – même si l’attaquant aguerri Jack McInerney est sur le banc. Sa mission? « Défendre pour tous les autres. »


Porter est encore sur le banc, une semaine plus tard, lorsque le match retour se met en branle au Stade olympique de Montréal. Après 85 minutes de jeu, Pachuca mène 1-0 (3-2 au total des buts) à la suite du penalty de German Cano. On fait encore appel à Porter, mais dans un dessein tout autre.


Un an plus tard, Porter s’appuie sur les panneaux publicitaires du Stade olympique. Grâce aux images de TVA Sports, il va revivre, encore une fois, ce but mémorable ancré dans l’histoire de l’Impact, marqué à quelque 60 mètres de là.


Les images s’animent. Calum Mallace récupère le ballon profondément dans la moitié de terrain montréalaise, après une intervention de Donny Toia à la droite du gardien Evan Bush. « Ils ont failli marquer », lance Porter, soulagé même s’il sait ce qui suit.


« Je suis à peu près ici, en dehors de l’image, indique-t-il en montrant l’extérieur du rond central, dans la moitié de terrain mexicaine. Je crois que je suis entre leur défenseur latéral et leur arrière central. Je vois Mallace qui a le ballon ici. […] Leurs défenseurs se mettent alors à glisser vers la gauche. Je me loge donc tout près de l’arrière [droit]. Et je continue, je continue afin de créer une ouverture pour – ouf! – pour ce gars-là. »


Mallace vient d’arriver près des panneaux pour bousculer Porter, qui taquine l’Écossais en le comparant à Brett Favre. Mallace est un partisan des Vikings du Minnesota.


« Je me dis alors qu’il peut tenter une bombe, se souvient Porter. Et voilà qu’il s’exécute. L’as-tu placée au pouce près ou au centimètre près? On est au Canada; ce qui s’en vient, c’est une passe millimétrée, n’est-ce pas? »


Exact. Mallace fait mine de dégager pour se défaire d’un attaquant adverse, se rend à mi-chemin de la moitié de terrain de l’Impact, lève la tête et prend son élan.


Pause. Le ballon est suspendu dans les airs. Porter a débordé l’arrière droit.


« [Les défenseurs] avaient glissé lorsque Mallace avait récupéré le ballon de l’autre côté. D’instinct, ils croient qu’il va envoyer le ballon de ce côté, d’autant plus que Dom [Oduro] est probablement là. »


En fait, Oduro a déjà été remplacé. C’est plutôt Justin Mapp qui occupe le flanc droit. McInerney, pour sa part, fait l’appel, plein axe.


De l’espace s’est ouvert derrière le latéral droit. Du banc, Porter a remarqué que la défense de Pachuca est compacte. Mais nous sommes en toute fin de rencontre. « Le jeu s’étire », souligne-t-il. Il sait qu’en glissant, la défense ouvrira l’espace nécessaire à l’appel qu’il fait depuis toujours.


En fin de soirée, Mallace dira à la presse qu’il voit Porter faire cet appel « chaque jour à l’entraînement ». D’habitude, ajoute Porter, les courses sont diagonales, à partir du milieu. Contre Pachuca, il joue sur l’aile. Son appel suit la trajectoire inverse. Mallace le remarque tout de même.


Pour se retrouver en échappée, Porter n’a besoin que d’une bonne première touche.


« Je voulais essentiellement reprendre le ballon de la poitrine et le propulser devant le défenseur et moi-même, car je veux que le ballon soit à sa droite, et mon corps entre les deux, explique-t-il. Ainsi, j’ai du temps pour faire ce que je veux du ballon devant le but. »


Le plan s’exécute. Porter reste debout même si Jurgen Damm tente de le déséquilibrer. Le gardien Oscar Perez le défie et couvre les angles. McInerney a battu les autres défenseurs. Il espère une passe ou un retour.


« J’ai vu [Perez] sortir de son filet, et pour être franc, ma frappe enroulée n’est pas la meilleure, surtout quand le ballon est directement devant moi et qu’il faut que je me donne un angle pour espérer l’envoyer au deuxième poteau, reconnaît Porter. Je l’ai vu arriver, et il s’avançait comme s’il s’attendait à ce genre de tir. »


Perez couvre le premier poteau, et la frappe enroulée n’est pas une option. Avant même que le ballon cesse de rebondir, Porter étend la jambe et le pousse entre les pieds de Perez.


Plus de 38 000 partisans perdent la tête. Le Stade olympique est en délire.


« Du délire », répète Porter, amusé. À l’écran, l’entraîneur-chef de l’époque, Frank Klopas, vient de montrer son fameux coup du bassin au quatrième officiel, ce qui lui vaudra une expulsion qu’il célèbre en faisant tournoyer son chandail au-dessus de sa tête.


« Je pense avoir revu la séquence sur un site du genre FratMove.com, se rappelle Porter. Tous mes amis étaient sur les sites universitaires à me demander si c’était mon entraîneur. »


Sur le terrain, malgré les circonstances, Porter ne sait pas comment célébrer. Il longe la ligne de touche, les bras tendus. Les gestes qu’il fait avec son avant-bras sont, disons, étranges – « Mais qu’est-ce que je fais de mes mains? »


Des coéquipiers sautent sur lui. Incapable de respirer, Porter est quand même fou de joie. Il peut sentir les hurlements de la foule sur sa peau.


Le bruit est tel qu’il enterre les descripteurs francophones pendant plusieurs secondes. Alors que Porter émerge de l’empilade, ils arrivent enfin à se faire entendre dans la cacophonie.


« Le stade a explosé », répète Porter en traduisant.


Après avoir atteint le sommet, Porter se retrouve au plus bas 18 jours plus tard, lorsqu’il s’écroule sur le terrain synthétique en Nouvelle-Angleterre, le ligament croisé antérieur déchiré. Porter utilise ce nouveau temps libre pour récupérer, bien entendu, mais aussi pour apprendre le français.


Entre-temps, l’Impact passe bien près de marquer l’histoire sans lui et s’incline en finale contre Club América. Porter ne pouvait que regarder depuis les gradins, mais il a déjà laissé des traces indélébiles au Québec.


Non seulement a-t-il marqué l’histoire avec les Montréalais, mais il parle aussi leur langue.